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de toute espèce, et allongé ses phrases, en les surchargeant de mots et d’expressions obscures, l’esprit de celui qui entend la lecture de ce livre ne jouit pas du plaisir que devrait lui procurer la matière qui y est traitée, et ne saisit pas la quintessence de ce que contient le chapitre qu’on lit : le lecteur lui-même peut à peine lier le commencement d’une histoire avec la fin, et la première partie d’une phrase avec la dernière. Cela amène nécessairement l’ennui, et finit par être à charge également à celui qui lit et à celui qui écoute, sur-tout dans un siècle aussi délicat que le nôtre, où les hommes se distinguent par une pénétration d’esprit telle, qu’ils veulent jouir du plaisir de saisir les pensées, avant, pour ainsi dire, qu’elles se montrent à visage découvert sur le théâtre des mots. Combien, à plus forte raison, ne doivent-ils pas être rebutés, quand, parfois, il faut feuilleter un dictionnaire ou faire des recherches pénibles pour découvrir le sens des expressions ! Peu s’en est fallu qu’à cause de cela un livre aussi précieux ne fût abandonné et laissé de côté, et que le monde ne demeurât entièrement privé des avantages qu’on peut retirer de sa lecture. »

Hosaïn Vaëz s’est proposé, comme on le voit, de rendre la lecture du livre de Calila plus agréable à tout le monde, en la rendant plus facile. Il ne s’est pas contenté de supprimer ou de changer tout ce qui pouvoit arrêter un grand nombre de lecteurs, il a encore ajouté au mérite primitif de l’ouvrage, en y insérant un grand nombre de vers empruntés de divers poëtes, et en employant constamment ce style mesuré et cadencé, ce parallélisme des idées et des expressions, qui, joint à la rime, constitue la prose poétique des Orientaux, et qui, ajoutant un charme inexprimable aux pensées justes et solides, diminue beaucoup ce que les idées plus ingénieuses que vraies, les métaphores outrées, les hyperboles extravagantes, trop fréquentes dans les écrits des Persans, ont de rebutant et de ridicule pour le goût sévère et délicat des Européens. Quoique le style de Hosaïn ne soit pas exempt de ces défauts, on lit et on relit avec un plaisir toujours nouveau son ouvrage, comme le Gulistan de Saadi.