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aussitôt sur le champ de bataille. Les deux champions combattirent une grande partie du jour, sans que la victoire se déclarât pour l’un ni pour l’autre. Alexandre commençoit à désespérer du succès, lorsque son armée, par ses ordres, poussa un grand cri. Le roi Indien, croyant que ses troupes étoient attaquées inopinément par des forces ennemies sorties d’une embuscade, se retourna pour voir ce que c’étoit, et Alexandre profitant de cet instant, lui porta un coup qui le précipita de son cheval ; d’un second coup, il l’étendit mort. L’armée Indienne recommença alors le combat, bien déterminée à périr ; cependant, vaincue de nouveau, elle céda aux promesses d’Alexandre. Le vainqueur, après avoir mis ordre aux affaires de ce pays, et en avoir donné le gouvernement à un de ses officiers, qu’il établit roi à la place de Four, quitta l’Inde pour suivre l’exécution de ses projets. À peine se fut-il éloigné, que les Indiens secouèrent le joug qu’il leur avoit imposé, et se choisirent pour souverain un homme de la race royale, nommé Dabschélim.

Lorsque Dabschélim se vit affermi sur le trône, la fortune l’ayant favorisé dans toutes ses entreprises, il s’abandonna à ses passions, et exerça sur ses sujets une tyrannie sans bornes. Il y avoit alors dans les états de Dabschélim, un brahmane nommé Bidpaï[1], qui jouissoit d’une grande réputation de sagesse, et que chacun consultoit dans les occasions importantes. Ce philosophe désirant ramener le prince, que l’orgueil de la domination avoit égaré, à des sentimens de justice et d’humanité, assembla ses disciples, afin de délibérer avec eux sur les moyens qu’il convenoit de prendre pour atteindre le but qu’il se proposoit. Il leur représenta qu’il étoit de leur devoir et de leur intérêt d’ouvrir les yeux au roi sur les vices de son administration ; et pour les convaincre que la faiblesse aidée d’une ruse adroite pouvoit réussir là où la force et la violence échoueraient, il leur cita la fable des Gre-

  1. Dans l’original ce nom est écrit Baïdaba, ce qui représente la prononciation Indienne Veidava. Ce nom est incontestablement d’origine Sanscrite, soit qu’il signifie, comme je l’ai supposé, lecteur du véda, soit qu’il ne soit autre chose que vidva, homme docte, savant. Il a été corrompu dans les manuscrits et les traductions en mille manières, ainsi que celui de Dabschelim. Voy. les Notices et Extraits des man. tome IX, part. 1re p. 397 et 403.