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Chroniques du Temps passé.

servation de la race à laquelle je me fais gloire d’appartenir et aussi pour la confusion de ce sot Mathieu et de ce plus sot Guillaume, qu’ils fissent bien plus grand mal encore, — puisque cela vous appelez ainsi, — oui, plus grand cent fois, s’embrassant à pleine bouche et se perdant dans quelqu’une de ces mystérieuses extases d’où l’on ne revient pas tel qu’on s’y est laissé prendre !

Mais n’ayez cure, mes compagnons ! Deux cœurs comme ceux-là, jeunes et battant pour la première fois, n’ont pas besoin, pour s’enflammer, de plus de feu qu’il n’en avait jailli de ce simple contact. L’étincelle avait touché les deux poitrines ; car Isabeau, pour ne pas aimer vraiment Tristan, n’en ressentait pas moins pour lui un sentiment vrai et profond, n’ayant pas encore rencontré, dans la sévère maison de son père, de jeune homme mieux tourné qui le lui fît oublier. Car c’est surtout dans le royaume des cœurs de jeunes filles que les borgnes peuvent devenir rois. D’ailleurs, dans cette dernière entrevue, son petit ami lui était apparu rehaussé de toutes les séductions de l’uniforme auquel il n’est guère de femme qui ne soit sensible, comme il appert de l’antique fable du dieu Mars, lequel fit si aisément Vulcain cocu, bien que celui-ci gagnât grand argent à fabriquer pour les dieux