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Chroniques du Temps passé.

nuit, la massive arbalète qui fatigue l’épaule et la masse d’armes à triple lanière avec ses trois étoiles de fer.

Ainsi s’étaient passées les dix années que j’ai dites plus haut, si bien que notre Tristan avait vingt ans révolus et Isabeau dix-sept, quand je reprends le fil de cette histoire véridique. J’ajouterai pourtant que celle-ci seulement avait grandi en beauté, Tristan étant demeuré un des plus vilains jouvenceaux de son temps. Car il semblait que son nez se fût allongé et que ses yeux fussent devenus plus petits.

Le moment des adieux fut le plus douloureux du monde, hormis pour maître Guillaume chez qui l’orgueil d’avoir un fils au service du Roi étouffait toute paternelle tendresse. Vous en pourrez juger par le discours qu’il fit au pauvre Tristan :

— Or çà, monsieur mon fils, lui dit-il avec solennité, il est vraisemblable que nous ne nous reverrons jamais en ce monde, mais nous nous rattraperons dans l’autre ; car, pour simple tanneur que je sois, Dieu me fera la grâce de me mettre, en son paradis, au même quartier que les vaillants hommes d’armes morts dans les combats, sachant bien que mon intention secrète eût été de faire comme eux au lieu de trépasser sottement dans