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Chroniques du Temps passé.

dans un livre, passer les pages ennuyeuses pour arriver bien vite à celles qu’illumine un peu d’héroïsme ou un peu d’amour. À quoi vous me répondrez que, s’il en était ainsi, il en est beaucoup d’entre nous qui ne vivraient pas la longueur d’une heure en quatre-vingts années.

Mettons donc que la Providence a bien fait, qui sème le cours de notre existence de rares fleurs, lesquelles n’y croissent pas comme dans une terre généreuse, mais y flottent comme un bouquet délié sur un torrent. Vous savez tous, d’ailleurs, où va cette onde, emportant nos joies rapides et nos fragiles souvenirs vers ce grand océan de la Mort qui ne cesse de gémir et d’engloutir. Mais ce n’est pas le lieu de nous jeter en mélancolique philosophie. Vive le bon vin et bran pour le reste ! comme avait coutume de dire frère Étienne. Vive l’amour, et le reste meure ! comme ne manquait pas de répondre maître Mathieu Clignebourde. En quoi je les veux mettre d’accord tous les deux en m’écriant moi-même : Vivent le bon vin et l’amour !

Durant les dix années que je jette au gouffre sans m’en plus soucier que d’une poignée de guignes défraîchies, Tristan avait grandi et frère Étienne l’avait instruit dans ses humanités, déplo-