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Chroniques du Temps passé.

cette grande école du jeûne et de la chasteté, depuis Aristide le juste, qui consommait moins en ses deux repas qu’Alcibiade en son dessert, jusqu’à Caton, qui ne pouvait voir une femme de loin sans en éprouver quelque nausée. Encore ceux-là n’étaient-ils que de simples citoyens de grandes villes anciennes. Si nous nous référons aux capitaines illustres, nous les trouverons encore bien autrement sobres en l’une et l’autre manière, qu’il s’agisse de Gédéon, qui ne souffrait même pas que ses soldats bussent de l’eau claire entre leurs repas, ou de Scipion, qui traitait les captives avec autant de cérémonies que de grandes dames, uniquement pour ne pas être forcé de leur faire la cour. Frère Étienne, j’entends que vous fassiez lire Plutarque à mon fils, pour lui donner le goût de ces hautes vertus du soldat. C’est dans son livre que j’ai puisé moi-même le mépris, sinon pour moi, du moins pour les autres, de tout ce qui n’est pas la gloire et son pénible chemin.

Ce disant, maître Guillaume se faisait verser une belle rasade, qu’il humait d’un seul trait ; après quoi il glissait sous la table à dame Mathurine un coup de pied sournois qui voulait dire : Ma mie, si nous allions nous mettre au lit, pour