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ou plutôt je ne le fus qu’à demi. Car, à ma grande surprise et malgré les témoignages positifs de ma conscience, j’eus lieu de douter que mon bonheur eût été partagé, ce qui est toujours une fâcheuse découverte pour un homme aussi délicat que bien intentionné. Je lui en fis douloureusement la remarque et son silence fut plus éloquent que tous les mensonges imaginés en pareil cas par les femmes vulgaires. Eh quoi ! ce corps merveilleux était rebelle au pouvoir sacré des caresses ! Tout était imposture dans ce regard attirant et dans cette bouche appelant le baiser ! Comme Pygmalion, je me trouvais devant un marbre insensible ! C’est pour une nouvelle Galatée que je brûlais d’un égoïste et solitaire amour ! Hélas ! il n’était plus temps de reprendre un cœur que j’avais donné dans un élan de générosité irréfléchie ! J’étais le prisonnier de mon rêve, l’esclave inutilement révolté de mon désir. Je me résignai deux soirs encore à ce monologue sous couleur de duo ; je me résignai. Mais vrai ! j’avais la mort dans l’âme.

Et Roubichou avait redemandé un second vermouth pour dompter l’émotion de ce souvenir.