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DE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME

le noir et le gris, plutôt que les couleurs pures et vibrantes, tandis que déjà Fantin-Latour, le peintre d’Hommage à Delacroix et de tant d’autres œuvres graves ou sereines, dessine et peint avec des tons et des teintes, sinon intenses, du moins dégradés et séparés.

Mais en 1871, pendant un long séjour à Londres, Claude Monet et Camille Pissarro découvrent Turner. Ils s’émerveillent du prestige et de la féerie de ses colorations ; ils étudient ses œuvres, analysent son métier. Ils sont tout d’abord frappés de ses effets de neige et de glace. Ils s’étonnent de la façon dont il a réussi à donner la sensation de blancheur de la neige, eux qui jusqu’alors n’ont pu y parvenir avec leurs grandes taches de blanc d’argent étalé à plat, à larges coups de brosses. Ils constatent que ce merveilleux résultat est obtenu, non par du blanc uni, mais par une quantité de touches de couleurs diverses, mises les unes à côté des autres et reconstituant à distance l’effet voulu.

Ce procédé de touches multicolores, qui s’est manifesté tout d’abord à eux dans ces effets de neige parce qu’ils ont été surpris de ne pas les voir représentés, comme de coutume, avec du blanc et du gris, ils le retrouvent ensuite, employé dans les tableaux les plus intenses et les plus brillants du peintre anglais. C’est grâce à cet artifice que ces tableaux paraissent peints, non avec de vulgaires pâtes, mais avec des couleurs immatérielles.