Page:Signac - D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, 1911.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
DE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME

hélas ! que peu d’adeptes… Cette partie musicale et arabesque… n’est rien pour bien des gens, qui regardent un tableau comme les Anglais regardent une contrée quand ils voyagent. »

Cette haine ou cette indifférence pour la couleur, dont Delacroix vivant a tant souffert, n’en supporte-t-il pas encore les conséquences ? Il nous semble qu’on est bien insoucieux de ses œuvres. Qu’on se rappelle ce public si froid devant son exposition à l’École des Beaux-Arts, et qui se ruait, enthousiaste, à celle de Bastien-Lepage, ouverte en même temps, à côté, à l’hôtel de Chimay. Et jamais, dans les longues stations que nous avons faites, à Saint-Sulpice, devant les décorations de la Chapelle des Saints-Anges, nous n’avons été troublé par un visiteur.

Eugène Véron, le biographe de Delacroix, a bien noté cette persistante injustice :

« Faut-il en conclure que les multitudes qui se pressent à ces expositions soient enfin arrivées à comprendre son génie ? On n’a pour s’en assurer qu’à comparer la réserve des visiteurs et leur silence embarrassé, en face des toiles de Delacroix, aux cris d’oiseaux que poussent les femmes quand, au Salon ou aux expositions des cercles, elles se trouvent en face de quelque toile des soi-disant maîtres actuels de l’École française. Voilà de l’admiration franche et sincère. A-t-on jamais rien vu de pareil aux expositions de Delacroix ? Cela n’a rien d’extraordinaire : c’est le contraire qui serait extraordinaire. »

5. Devant la peinture de Delacroix, ce qui exaspérait tant de gens, c’était moins la fureur de son romantisme