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il n’y a de nobles privilégiés que ceux à qui la constitution accorde une partie du pouvoir législatif. Tous les autres citoyens sont confondus dans le même intérêt ; point de privilèges qui en fassent des ordres distincts. Si donc on veut en France réunir les trois ordres en un, il faut auparavant abolir toute espèce de privilège. Il faut que le noble et le prêtre n’aient d’autre intérêt que l’intérêt commun et qu’ils ne jouissent, par la force de la loi, que des droits de simple citoyen. Sans cela, vous aurez beau réunir les trois ordres sous la même dénomination ; ils feront toujours trois matières hétérogènes impossibles à amalgamer. On ne m’accusera pas de soutenir la distinction des ordres, que je regarde comme l’invention la plus funeste à tout bien social. Il n’y aurait au-dessus de ce malheur que celui de confondre ces ordres nominalement en les laissant séparés réellement par le maintien des privilèges. Ce serait consacrer à jamais leur triomphe sur la nation. Le salut public exige que l’intérêt commun de la société se maintienne quelque part, pur et sans mélange. Et c’est dans cette vue, la seule bonne, la seule nationale, que le tiers ne se prêtera jamais à la confusion des trois ordres dans une prétendue Chambre des communes.

Il sera appuyé dans sa résistance par la petite noblesse, qui ne voudra jamais échanger les privilèges dont elle jouit, pour une illustration qui ne serait pas pour elle. Voyez en effet comme elle s’élève en Languedoc contre l’aristocratie des barons. Les hommes en général aiment fort à ramener à l’égalité tout ce qui leur est supérieur, ils se montrent alors philosophes. Ce mot ne leur devient odieux qu’au moment où ils aperçoivent les mêmes principes dans leurs inférieurs.