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institutions humaines ? Je ne suis point étonné que les deux premiers ordres aient fourni les premiers défenseurs de la justice et de l’humanité. Les talents tiennent à l’emploi exclusif de l’intelligence et aux longues habitudes : les membres de l’ordre du tiers doivent par mille raisons y exceller ; mais les lumières de la morale publique doivent paraître d’abord chez des hommes bien mieux placés pour saisir les grands rapports sociaux, et chez qui le ressort originel est moins communément brisé ; car il est des sciences qui tiennent autant à l’âme qu’à l’esprit. Si la nation parvient à la liberté, elle se tournera, je n’en doute point, avec reconnaissance vers ces auteurs patriotes des deux premiers ordres, qui, les premiers abjurant de vieilles erreurs, ont préféré les principes de la justice universelle aux combinaisons meurtrières de l’intérêt de corps contre l’intérêt national. En attendant les honneurs publics que la nation leur décernera, puissent-ils ne pas dédaigner l’hommage d’un citoyen dont l’âme brûle pour une patrie libre et adore tous les efforts qui tendent à la faire sortir des décombres de la féodalité !

Certainement les deux premiers ordres sont intéressés à rétablir le tiers dans ses droits. On ne doit point se le dissimuler ; le garant de la liberté publique ne peut être que là où est la force réelle. Nous ne pouvons être libres qu’avec le peuple et par lui.

Si une considération de cette importance est au-dessus de la frivolité et de l’étroit égoïsme de la plupart des têtes françaises, au moins ne pourront-elles s’empêcher d’être frappées des changements survenus dans l’opinion publique. L’empire de la raison s’étend tous les jours davantage ; il nécessite de plus en plus la restitution des droits usurpés. Plus tôt ou plus tard, il faudra que toutes les classes se renferment dans les bornes du contrat social. Sera-ce pour en recueillir les avantages innombrables ou pour les sacrifier au despotisme ? Telle est la véritable question. Dans la nuit de la barbarie et de la féodalité, les vrais rapports des hommes ont pu être détruits, toutes les nations bouleversées, toute justice corrompue ; mais, au lever de la lumière, il faut que les absurdités gothiques s’enfuient, que les restes de l’antique férocité tombent et s’anéantissent. C’est une chose sûre. Ne ferons-nous que changer de maux, ou l’ordre social, dans toute sa beauté,