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L’ancienne noblesse ne peut pas souffrir les nouveaux nobles ; elle ne leur permet de siéger avec elle que lorsqu’ils peuvent prouver, comme l’on dit, quatre générations et cent ans. Ainsi, elle les repousse dans l’ordre du tiers état, auquel évidemment ils n’appartiennent plus. Cependant aux yeux de la loi, tous les nobles sont égaux, celui d’hier comme celui qui réussit bien ou mal à cacher son origine ou son usurpation. Tous ont les mêmes privilèges. L’opinion seule les distingue. Mais si le tiers état est forcé de supporter un préjugé consacré par la loi, il n’y a pas de raison pour qu’il se soumette à un préjugé contre le texte de la loi. Qu’on fasse des nouveaux nobles tout ce qu’on voudra ; il est sûr que dès l’instant qu’un citoyen acquiert des privilèges contraires au droit commun, il n’est plus de l’ordre commun.

Son nouvel intérêt est opposé à l’intérêt général ; il est inhabile à voter pour le peuple. Ce principe incontestable écarte pareillement de la représentation de l’ordre du tiers les simples privilégiés à terme. Leur intérêt est aussi plus ou moins ennemi de l’intérêt commun ; et quoique l’opinion les range dans le tiers état, et que la loi reste muette à leur égard, la nature des choses, plus forte que l’opinion et la loi, les place invinciblement hors de l’ordre commun.

Dira-t-on que vouloir distraire du tiers état, non seulement les privilégiés héréditaires, mais encore ceux qui ne jouissent que des privilèges à terme, c’est vouloir, de gaieté de cœur, affaiblir cet ordre en le privant de ses membres les plus éclairés, les plus courageux et les plus estimés ? Il s’en faut bien que je veuille diminuer la force ou la dignité du tiers état, puisqu’il se confond toujours dans mon esprit avec l’idée d’une nation. Mais quel que soit le motif qui nous dirige, pouvons-nous faire que la vérité ne soit pas la vérité ? Parce qu’une armée a eu le malheur de voir déserter ses meilleures troupes, faut-il encore qu’elle leur confie son camp à défendre ? Tout privilège, on ne saurait trop le répéter, est opposé au droit commun ; donc tous les privilégiés, sans distinction, forment une classe différente et opposée au tiers état. En même temps, j’observe que cette vérité ne doit rien avoir d’alarmant pour les amis du peuple.

Au contraire, elle ramène au grand intérêt national, en faisant sentir avec force la nécessité de supprimer à l’instant tous les privilèges à terme qui divisent