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II
Introduction

influence on connait généralement assez mal la nature exacte, les véritables causes et les limites. On l’attribue volontiers à des systèmes ingénieux, mais compliqués, à des théories aventureuses, à des spéculations conduites sans grand souci des faits et de l’expérience. À en croire Malouet, Sieyès avait séduit le public par sa métaphysique et sa profondeur dans le genre obscur.

C’est se faire des hommes de 89 une idée bien fausse, que de se les représenter entraînés dans l’abîme des révolutions par des abstractions ou des rêveries. Ils avaient trop de bon sens pour s’éprendre de chimères. Il suffit de parcourir leurs cahiers pour s’assurer qu’ils étaient bien éloignés des ambitions excessives, des doctrines imprudentes. Mirabeau ne s’y est pas trompé : « Il n’est personne qui n’avoue aujourd’hui que la nation française a été préparée par le sentiment de ses maux et par les fautes de son gouvernement à la révolution qui vient de s’accomplir, bien plus que par le progrès général de ses lumières, » écrivait-il le 7 septembre 1790 dans sa vingt-troisième note pour la cour. Il ajoutait qu’au début de la Révolution on voyait clairement ce qui était à changer, mais qu’il n’existait pas de projets arrêtés pour l’avenir. Sieyès lui-même n’a-t-il pas dit qu’il ne fallait pas présenter comme une image exacte de l’opinion publique si modeste et si mesurée les observations d’auteurs plus ou moins instruits des droits de l’homme[1] ?

Les inventions de Sieyès ont été plus admirées qu’approuvées. Elles eurent plus de prestige que d’efficacité. Ainsi que l’a remarqué Brissot, Sieyès, à l’Assemblée nationale, était de beaucoup le membre le plus important du comité de constitution, mais ce n’est pas lui dont les idées ont été le plus souvent adoptées. Il lui arriva plus d’une fois, comme à tous les oracles, de n’être pas compris et surtout pas obéi. Des deux parties de la brochure

  1. Qu’est-ce que le tiers état ? p. 34.