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tarir en lui les dernières sources de la vie avant même que le terrible instant fût arrivé. Et ses amis, y compris Pétrone, craignaient aussi qu’avant peu s’ouvrît devant lui le royaume des ombres. Son visage était devenu terreux et ressemblait aux masques de cire qui ornent les lararia. Sur ses traits s’était figée la stupeur et il semblait ne pas comprendre ce qui lui était arrivé, ni ce qui pouvait lui arriver encore. Quand on lui adressait la parole, il se prenait machinalement la tête, pressait ses tempes entre ses deux mains et considérait avec un regard effrayé et investigateur celui qui lui parlait. Il passait ses nuits avec Ursus à la porte de la cellule de Lygie et lorsqu’elle lui disait d’aller se reposer, il s’en revenait chez Pétrone où, jusqu’au matin, il déambulait de long en large dans l’atrium. Souvent, les esclaves le trouvaient à genoux, les mains levées vers le ciel, ou bien prosterné le visage contre terre. Il implorait le Christ, son ultime espoir. Tout l’avait leurré ! Lygie ne pouvait être désormais sauvée que par un miracle. Il se meurtrissait le front contre les dalles et réclamait ce miracle.

Toutefois, il avait encore assez de lucidité pour espérer que la prière de l’apôtre Pierre serait plus efficace que la sienne. Pierre lui avait promis Lygie, Pierre l’avait baptisé, Pierre faisait des miracles : que Pierre vînt à son aide et le secourût !

Une nuit, il partit à sa recherche. Les chrétiens, qui n’étaient plus guère nombreux, le cachaient maintenant avec soin, même entre eux, de crainte que quelqu’un, par faiblesse, pût le trahir volontairement ou non. Au milieu du désarroi général et tout préoccupé du salut de Lygie, Vinicius avait perdu de vue l’Apôtre et ne l’avait rencontré qu’une seule fois depuis son baptême, avant le commencement des persécutions.

Il se rendit dans la hutte du carrier, là même où il avait été baptisé, et il apprit de cet homme qu’une assemblée des chrétiens allait avoir lieu dans les vignes de Cornelius Pudens, derrière la Porte Salaria. Le carrier lui proposa de l’y conduire, l’assurant qu’ils y trouveraient Pierre.

Ils sortirent donc à la nuit tombante, dépassèrent les murs et, après avoir longé des ravins hérissés de buissons, ils atteignirent les vignes situées dans un lieu écarté.

La réunion se tenait dans un hangar qui servait de pressoir. Avant d’y pénétrer, Vinicius perçut le murmure des prières et, dès le seuil, il distingua, à la pâle lueur des lanternes, quelques dizaines de personnes agenouillées et priant. On récitait une litanie et le chœur des voix masculines et féminines répétait à tout instant : « Christ, aie pitié de nous ! » Et les voix frémissaient de poignant désespoir.

Pierre était là. Il était agenouillé en avant de tous, devant une croix