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inquiétude, le mécontentement, se peignirent sur son visage.

— Seigneur, — s’écria Tigellin, — permets-moi de sortir ! On te pousse à risquer ta personne dans les grands dangers et, de plus, on te traite de César pusillanime, de pusillanime poète, d’incendiaire et de comédien : mes oreilles ne sauraient en entendre davantage.

« J’ai perdu », — se dit Pétrone.

Mais, se tournant vers Tigellin et le toisant d’un regard où se lisait tout le mépris d’un élégant patricien pour un piètre coquin, il dit :

— Tigellin, c’est toi que j’ai traité de comédien, car tu en es un, même en ce moment.

— Parce que je me refuse à écouter tes injures ?

— Parce que tu feins pour César un amour sans bornes, alors que tout à l’heure tu le menaçais des prétoriens, ce que nous avons tous compris, et lui aussi.

Tigellin ne s’attendait point à ce que Pétrone osât jeter sur la table des dés aussi décisifs ; aussi blêmit-il et resta muet. Mais ce devait être la dernière victoire de l’arbitre des élégances sur son rival, car au même instant Poppée s’écriait :

— Seigneur, comment peux-tu permettre qu’une telle pensée vienne à qui que ce soit, et tout au moins qu’on l’ose exprimer devant toi ?

— Punis l’insulteur ! — fit Vitellius.

Néron retroussa de nouveau ses babines et tournant vers Pétrone ses yeux vitreux et myopes, il lui dit :

— Est-ce donc ainsi que tu réponds à mon amitié ?

— Si je me suis trompé, — répondit Pétrone, — prouve-moi mon erreur : mais sache que je n’ai dit que ce que me dictait l’amour que j’ai pour toi.

— Punis l’insulteur ! — réitéra Vitellius.

— Punis-le ! — reprirent plusieurs voix.

Un mouvement se fit dans l’atrium et tous s’éloignèrent de Pétrone. Tullius Sénécion lui-même, son vieux compagnon à la cour, et le jeune Nerva qui, jusque-là, lui avait témoigné l’amitié la plus vive, s’écartèrent de lui. Pétrone resta seul dans la partie gauche de l’atrium. Le sourire aux lèvres et d’une main indolente arrangeant les plis de sa toge, il attendit ce que César allait dire ou faire.

César parla :

— Vous voulez que je le punisse, mais il est mon compagnon et mon ami. Et, bien qu’il ait blessé mon cœur, je veux qu’il sache que ce cœur n’a pour ses amis que le pardon.

« J’ai perdu… et je suis perdu », songea Pétrone.

César se leva ; le Conseil prit fin.