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Vinicius le secoua par les épaules.

— Ma maison est aux Carines, — dit-il, — mais, puisque tout périt, qu’elle périsse aussi !

Puis, il se souvint qu’il avait conseillé à Lygie de se transporter dans la maison des Aulus, et il demanda :

— Et le Vicus Patricius ?

— En feu, — répondit Junius.

— Et le Transtévère ?

Junius le regarda, surpris :

— Qu’importe le Transtévère ? — répondit-il en pressant de ses mains ses tempes qui éclataient.

— Je tiens plus au Transtévère qu’à tout le reste de Rome ! — gronda Vinicius avec emportement.

— Alors, il ne te sera guère accessible que par la Voie du Port, car près de l’Aventin, le feu t’étoufferait… Le Transtévère ?… Je ne sais pas. Peut-être que lors de mon départ le feu ne l’avait pas encore atteint : les dieux seuls le savent…

Après quelque hésitation, Junius reprit à voix basse :

— Je sais que tu ne me trahiras pas : je te dirai donc que ce n’est pas un incendie ordinaire. On a empêché de porter secours au Cirque… Quand les maisons ont commencé à flamber, j’ai entendu, de mes propres oreilles, hurler par des milliers de voix : « Mort aux éteigneurs ! » Des gens parcourent la ville en jetant dans les maisons des torches allumées… D’autre part, le peuple se révolte, crie qu’on brûle la ville par ordre. Inutile d’en dire plus. Malheur à la ville, malheur à nous tous, malheur à moi ! Aucun langage humain ne saurait exprimer ce qui se passe là-bas. Les habitants périssent au milieu des flammes, s’entre-tuent dans le tumulte… C’est la fin de Rome !…

Il répéta encore : « Malheur ! Malheur à la ville ! Malheur à nous ! »

Vinicius, lui, avait foncé avec son cheval sur la Voie Appienne.

Mais il lui était difficile d’avancer. Un fleuve d’hommes et de chars roulait à sa rencontre. Il voyait, comme s’il l’eût tenue dans le creux de sa main, la ville entière ensevelie dans ce monstrueux incendie… Cette mer ignée vomissait une chaleur atroce et le vacarme humain ne pouvait couvrir le crépitement et le sifflement des flammes.