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Déesse ou mortelle, je te vénèreSi, mortelle, tu vis sur cette terre, Trois fois heureux ton père et ton auguste mère, Trois fois heureux tes frères !…

Pomponia elle-même fut sensible à la délicate affabilité de ce mondain. Quant à Lygie, confuse et rougissante, elle écoutait sans oser lever les yeux. Mais voici qu’un sourire espiègle effleura le coin de ses lèvres ; on put voir se dessiner sur son visage la lutte entre sa pudeur de vierge et son désir de répondre, et ce fut ce dernier qui l’emporta ; elle regarda soudain Pétrone et riposta, en citant, tout d’une haleine et presque comme une leçon apprise par cœur, les propres paroles de Nausicaa :

« Étranger, tu ne parais ni un homme vulgaire, ni dépourvu d’esprit, … »

Et, pivotant sur elle-même, elle s’enfuit comme un oiseau effarouché.

À présent, c’était à Pétrone de s’étonner ; à coup sûr, il ne pensait guère entendre un vers d’Homère sortir des lèvres d’une jeune fille dont Vinicius lui avait révélé l’origine barbare. Il interrogeait donc du regard Pomponia, empêchée de lui répondre parce qu’elle-même souriait de voir les yeux du vieil Aulus s’éclairer d’orgueil.

Celui-ci, en effet, ne savait pas dissimuler son contentement : tout d’abord, parce qu’il aimait Lygie comme sa propre enfant ; ensuite, parce qu’en dépit de ses préjugés de vieux Romain, grâce auxquels il était tenu de protester contre l’engouement actuel pour la langue grecque, il n’en considérait pas moins celle-ci comme le couronnement d’une bonne éducation.

Lui-même souffrait, en son for intérieur, de n’avoir jamais pu l’apprendre ; aussi s’estimait-il heureux qu’un homme aussi cultivé, que ce littérateur, enclin à regarder sa maison comme barbare, y eût rencontré quelqu’un qui fût capable de lui répondre dans la langue et par un vers d’Homère.

— Nous avons chez nous, — dit-il en s’adressant à Pétrone, — un pédagogue, un Grec, qui donne à notre fils des leçons auxquelles assiste la fillette. Ce n’est encore qu’une bergeronnette, mais une si agréable petite bergeronnette que, ma femme et moi, nous y sommes tous deux habitués.

Au travers du feuillage de lierre et de chèvrefeuille, Pétrone regardait maintenant le jardin et le trio qui jouait. Vinicius avait quitté sa toge et, en simple tunique, il lançait en l’air la balle que Lygie, en face de lui et les bras tendus, s’efforçait de saisir au vol. De prime abord, elle n’avait pas produit une grande impression