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chrétiens avaient pardonné au misérable, et ils avaient des motifs bien autrement sérieux de se venger de lui. Alors seulement ce cri : « Au nom du Christ ! » retentit dans son âme. Il se souvint qu’un cri semblable avait sauvé Chilon des mains du Lygien, et il résolut de réduire la peine.

Il allait, dans ce but, faire appeler son intendant, quand celui-ci se présenta de lui-même pour lui annoncer :

— Seigneur, le vieillard a perdu connaissance et peut-être est-il mort ? Faut-il continuer à le fouetter ?

— Qu’on le fasse revenir à lui et qu’on me l’amène.

Le chef de l’atrium disparut derrière la portière ; mais il était sans doute difficile de ranimer le Grec, et Vinicius commençait à s’impatienter, quand les esclaves introduisirent Chilon, et sur un signe, se retirèrent.

Chilon était blanc comme un linge et des filets de sang découlaient au long de ses jambes jusque sur la mosaïque de l’atrium. Mais il avait complètement repris ses sens et, tombant à genoux, il dit, les bras étendus :

— Merci, seigneur ! tu es miséricordieux et grand.

— Chien, — fit Vinicius, — sache que je t’ai pardonné au nom de ce Christ à qui moi-même je dois la vie.

— Seigneur ! Je le servirai, Lui, et toi aussi.

— Tais-toi et écoute. Lève-toi ! Tu viendras avec moi pour me montrer la maison où demeure Lygie.

Chilon se releva, mais à peine sur ses jambes il pâlit de nouveau et gémit d’une voix faible :

— Seigneur, j’ai réellement faim… J’irai seigneur, j’irai ! Mais je n’ai plus de forces… Fais-moi donner au moins les restes de l’écuelle de ton chien et j’irai !…

Vinicius lui fit servir à manger et le gratifia d’une pièce d’or et d’un manteau. Mais Chilon, affaibli par les coups et la faim, ne put marcher, même après ce repas, et malgré sa crainte que Vinicius crût, non à de la faiblesse, mais à de la résistance, et donnât l’ordre de le châtier de nouveau :

— Si seulement du vin me réchauffait, — gémissait-il en claquant des dents, — je pourrais marcher aussitôt. J’irais même jusque dans la Grande-Grèce.

Ses forces peu à peu revenues, ils sortirent. La route était longue, Linus habitant, comme la plupart des chrétiens, au Transtévère, non loin de la demeure de Myriam. Enfin, Chilon désigna à Vinicius une petite maison isolée, entourée d’un mur tout tapissé de lierre.

— C’est là, seigneur.

— Bien, — répondit Vinicius ; — à présent, va-t’en, mais écoute auparavant ceci : Oublie que tu m’as servi ; oublie où demeurent