Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Que le Hadès engloutisse tous les chrétiens ! — s’exclama Pétrone. — Ils t’ont rempli d’inquiétudes et ils ont sapé chez toi le sens de la vie. Que le Hadès les engloutisse ! Tu te trompes, si tu crois leur doctrine bienfaisante : cela seul est bienfaisant qui nous donne le bonheur, à savoir : la beauté, l’amour et la force ; et c’est là ce qu’ils qualifient de vanités. Tu te trompes aussi en les croyant justes, car, si nous rendons le bien pour le mal, que rendrons-nous pour le bien ? Et si, pour l’un comme pour l’autre, la récompense est la même, pourquoi les hommes seraient-ils bons ?

— Non, la récompense n’est pas la même ; mais, suivant leur doctrine, elle commence dans la vie future, la vie éternelle.

— Je n’entre pas dans ces considérations, que nous ne pourrons vérifier que plus tard, si même nous pouvons vérifier quelque chose… sans yeux. En attendant, ce sont simplement des hallucinés. Ursus a étouffé Croton, tout simplement parce qu’il a des muscles d’acier. Mais les chrétiens, eux, sont quantité négligeable ; ce sont des gens obtus, et l’avenir ne saurait appartenir à des obtus.

— Pour eux, la vie ne commence qu’avec la mort.

— C’est comme si quelqu’un disait : le jour commence avec la nuit. As-tu l’intention d’enlever Lygie ?

— Non. Je ne puis lui rendre le mal pour le bien, et j’ai juré de ne pas le faire.

— Peut-être songes-tu à adopter la doctrine chrétienne ?

— Je le voudrais, mais toute ma nature s’y oppose.

— Es-tu capable d’oublier Lygie ?

— Non.

— Alors, voyage.

À ce moment, les esclaves vinrent annoncer que le déjeuner était prêt ; tout en se rendant au triclinium, Pétrone poursuivit :

— Tu as parcouru une partie de la terre, mais en soldat qui se hâte vers son lieu de destination et ne s’arrête pas en route. Viens avec nous en Achaïe. César n’a pas encore renoncé à ce projet de voyage. Il s’arrêtera partout, chantera, recueillera des couronnes, dépouillera les temples, et, finalement, rentrera ici en triomphateur. Ce sera quelque chose comme la procession d’un Bacchus et d’un Apollon en une seule divinité. Des augustans ! des augustanes ! des milliers de citharistes ! Par Castor ! cela vaut d’être vu, le monde n’ayant encore rien vu de semblable.

Il s’étendit sur la couchette aux côtés d’Eunice. Un esclave vint lui orner la tête d’une couronne d’anémones, et il continua :

— Qu’as-tu vu au service de Corbulon ? Rien ! As-tu convenablement visité les temples grecs, ainsi que je le fis moi-même, pendant deux ans, passant des mains d’un guide à celles d’un autre ?