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Celui-ci, de son côté, l’assura qu’il lui était agréable de l’avoir pour hôte, et quant à ce qui était de la reconnaissance, il s’en trouvait redevable lui-même, encore que Pétrone n’en soupçonnât pas la raison. En effet, il ne la pouvait deviner. Vainement il levait en l’air ses prunelles noisette, et s’efforçait de se remémorer le plus mince service rendu soit à Aulus, soit à quiconque ; il ne se souvenait d’aucun, sinon de celui qu’il désirait pour l’instant rendre à Vinicius. Si quelque chose de ce genre était arrivé, et c’était possible, à coup sûr c’était à son insu.

— J’aime et j’apprécie fort Vespasien, — reprit Aulus, — à qui tu sauvas la vie le jour où, par malheur, il s’était endormi à écouter les vers de César.

— Bonheur pour lui plutôt, — repartit Pétrone, — car il ne les entendit pas ; je conviens cependant que ce bonheur eût pu finir en malheur. Barbe-d’Airain voulait à tout prix lui mander par un centurion le conseil amical de s’ouvrir les veines.

— Et toi, Pétrone, tu l’en as raillé.

— En effet, ou plutôt le contraire : je lui ai dit que si Orphée endormait par son chant les bêtes sauvages, son triomphe à lui n’était pas moins complet d’avoir su endormir Vespasien. La critique est possible avec Ahénobarbe, pourvu qu’il s’y mêle beaucoup de flatterie. Notre gracieuse Augusta Poppée s’en rend merveilleusement compte.

— Ce sont les temps, hélas ! — poursuivit Aulus. Une pierre lancée par la main d’un Breton m’a brisé deux dents et le son de ma voix en est devenu sifflant ; n’empêche que ce soit en Bretagne que j’aie passé le temps le plus heureux de ma vie.

— Parce qu’il était celui de tes victoires, — se hâta de dire Vinicius.

Mais, dans la crainte que le vieux chef entreprît le récit de ses campagnes, Pétrone fit dévier la conversation. Il dit qu’aux environs de Praeneste des paysans avaient découvert le cadavre d’un louveteau à deux têtes ; que pendant l’orage de l’avant-veille, la foudre avait arraché une pierre du temple de Luna, chose inouïe aussi tard dans l’automne ; il le tenait d’un certain Cotta, lequel lui avait fait part de la prédiction des prêtres de ce temple, à savoir que ce phénomène annonçait la ruine de la Ville, ou tout au moins la ruine d’une grande maison, catastrophe que de grands sacrifices pourraient seuls conjurer.

Aulus fut alors d’avis qu’on ne pouvait, en effet, négliger de tels présages. L’irritation des dieux n’avait rien de surprenant, quand les crimes dépassaient toute mesure ; en ce cas, des offrandes propitiatoires devenaient indispensables.

Pétrone repartit :

— Ta maison, Plautius, n’est pas trop grande, bien qu’un grand