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Et il sut si bien se dominer que, lorsque Nazaire rentra dans la chambre, il lui promit de lui faire don, à son retour dans sa villa, d’un couple de paons ou de flamants, qui foisonnaient dans ses jardins.

Lygie comprenait combien lui coûtaient ces victoires sur lui-même, et plus elles étaient fréquentes, plus son cœur inclinait vers lui. Mais, en ce qui touchait Nazaire, il avait moins de mérite qu’elle ne le supposait. Il pouvait avoir eu un instant quelque ressentiment contre lui, mais non de la jalousie. En réalité, le fils de Myriam ne valait à ses yeux pas plus qu’un chien ; c’était, du reste, un gamin, incapable d’aimer Lygie autrement que d’un amour inconscient et soumis. La véritable lutte que devait soutenir le jeune tribun, c’était pour se mettre d’accord, même tacitement, avec la vénération dont ces gens entouraient le nom du Christ et sa doctrine. Aussi Vinicius éprouvait-il d’étranges sentiments. Cette doctrine, quelle qu’elle fût, était celle que professait Lygie et que, par là même, il était prêt à reconnaître. Plus ses forces lui revenaient, mieux il se rappelait la série des événements qui s’étaient déroulés depuis cette nuit de l’Ostrianum, les pensées, les réflexions qui avaient depuis traversé son cerveau, et plus aussi il s’étonnait de la puissance surnaturelle de cette religion qui transformait si radicalement l’âme humaine. Il comprenait que cette doctrine était quelque chose d’insolite, encore ignorée de tous, et il se disait que si elle venait à embrasser le monde entier, à lui infuser son amour et sa miséricorde, alors commencerait une ère semblable à celle où régnait sur l’Univers non pas Zeus, mais Saturne. Il n’osait douter ni de l’origine miraculeuse du Christ, ni de sa résurrection, ni des autres miracles. Les témoins qui en parlaient inspiraient trop de confiance, ils étaient de trop bonne foi et fuyaient trop le mensonge pour qu’on pût douter de leurs récits. Enfin, tout en négligeant de croire aux dieux, le scepticisme romain croyait aux miracles.

Vinicius se trouvait donc en présence d’une étrange énigme qu’il était impuissant à résoudre.

D’autre part, cette doctrine lui semblait, plus que toute autre, en opposition avec l’ordre de choses existant, impraticable dans la vie et insensée. D’après lui, à Rome et sur toute la terre, les hommes pouvaient être mauvais, mais partout l’organisation sociale était bonne. Si, par exemple, César eût été digne, si le Sénat n’eût point été composé d’ignobles débauchés, mais de gens comme Thraséas, qu’eût-on pu souhaiter de mieux ? Le monde romain, la puissance romaine, n’était-ce pas là d’excellentes choses ? La division en castes n’était-elle pas sensée et juste ? Et pourtant, — songeait Vinicius, — la doctrine chrétienne