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Devant la librairie d’Aviranus, il fit arrêter et descendit pour acheter un luxueux manuscrit qu’il remit à Vinicius.

— C’est un cadeau pour toi, dit-il.

— Merci, — répondit Vinicius, qui regarda le titre et demanda : — Le Satyricon ? C’est nouveau. De qui est-ce ?

— De moi. Mais je ne veux marcher sur les traces ni de Rufin, dont je devais te raconter l’histoire, ni de Fabricius Veiento ; aussi, personne n’en sait rien ; et toi, n’en parle à personne.

— Tu me disais que tu n’écrivais pas de vers, — observa Vinicius en feuilletant le manuscrit, — et je vois ici que la prose en est abondamment parsemée.

— Quand tu le liras, porte ton attention sur le repas de Trimalcion. Pour ce qui est des vers, j’en suis dégoûté depuis que Néron s’est mis à écrire des épopées. Vois-tu, quand Vitellius veut se soulager, il s’introduit dans la gorge une palette d’ivoire ; d’autres se servent de plumes de flamant imprégnées d’huile ou d’une décoction de serpolet. Moi, je lis les poésies de Néron et l’effet est immédiat. Ceci fait, je puis les louer, sinon avec la conscience libre, du moins avec l’estomac libre.

Sur ces mots, il fit encore arrêter sa litière devant la boutique du joaillier Idomène et, dès qu’il en eut terminé avec l’affaire des gemmes, il se fit porter directement à la maison d’Aulus.

— Chemin faisant, et comme exemple d’amour-propre chez un auteur, je te conterai l’histoire de Rufin, — dit Pétrone.

Mais il n’avait pas eu le temps de commencer son récit que, tournant sur le Vicus Patricius, ils se trouvèrent devant la maison d’Aulus. Un jeune et robuste janitor leur ouvrit la porte qui donnait accès dans l’ostium et au-dessus de laquelle une pie en cage les accueillit d’un retentissant « Salve ».

En passant de l’ostium, ou second vestibule, à l’atrium, Vinicius observa :

— As-tu remarqué que le portier n’a pas de chaîne ?

— Étrange maison, — répondit Pétrone à mi-voix. — Sans doute tu as ouï dire que Pomponia Græcina est soupçonnée de croire à une superstition orientale en faveur d’un certain Chrestos. Il est probable que ce service lui a été rendu par Crispinilla, qui ne peut pardonner à Pomponia de s’être, toute sa vie, contentée d’un seul mari. Univira !… Il serait aujourd’hui plus aisé de trouver à Rome un plat de champignon du Norique. Elle a été jugée par un conseil de famille…

— C’est, en effet, une singulière maison. Plus tard, je te dirai ce que j’y ai vu et entendu.

Ils avaient gagné l’atrium. L’atriensis, ou préposé à sa garde, envoya le nomenclator annoncer les hôtes, tandis que d’autres domestiques