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ble. La pensée vint alors à Vinicius qu’il pourrait donner l’ordre de capturer Lygie et l’enfermer chez lui ; mais il sentit aussitôt qu’il ne devait et ne pouvait plus agir ainsi. Volontaire, sûr de lui, et passablement dépravé, il était capable, au besoin, de se montrer implacable ; mais il n’était ni un Tigellin, ni un Néron. La vie militaire avait assez développé en lui le sentiment de la justice et de la conscience pour qu’il comprît combien un tel acte serait monstrueux et vil. Bien portant, dans un accès de rage, il fût peut-être descendu à un acte semblable ; mais, à présent, il était ému, malade, et désirait uniquement que rien ne vînt se placer entre lui et Lygie.

Il avait remarqué avec surprise que, dès le moment où Lygie avait intercédé en sa faveur, ni elle, ni Crispus n’avaient exigé de lui le moindre engagement, comme s’ils avaient la certitude que, dans un cas extrême, une force surnaturelle les protégerait. Depuis qu’il avait entendu à l’Ostrianum les enseignements et le récit de l’Apôtre, son cerveau ne saisissait plus la limite entre le possible et l’impossible, et il n’était pas loin d’admettre qu’une telle intervention pût se produire. Cependant, envisageant la situation avec plus de sang-froid, il rappela lui-même à ses hôtes ce qu’il avait dit au sujet du Grec et pria de nouveau qu’on lui amenât Chilon.

Crispus y consentit, et l’on décida d’envoyer Ursus. Vinicius, qui ces derniers jours, avant la visite à l’Ostrianum, avait dépêché ses esclaves chez Chilon, le plus souvent sans succès, indiqua exactement au Lygien la demeure du Grec, puis, après avoir tracé quelques mots sur des tablettes, il s’adressa à Crispus :

— Je vous remets les tablettes parce que ce Chilon est un homme défiant et rusé qui souvent, quand je le réclamais, faisait répondre à mes gens qu’il n’était pas chez lui ; et cela se passait chaque fois que n’ayant pas de bonnes nouvelles à m’annoncer, il redoutait ma colère.

— Si je le trouve, je le ramènerai de gré ou de force, — répondit Ursus.

Il prit son manteau et sortit à la hâte.

Il n’était pas facile de retrouver quelqu’un à Rome, même avec les indications les plus précises ; mais, dans le cas présent, l’instinct de l’homme des forêts qu’était Ursus, et sa connaissance de la ville, lui venaient en aide : aussi eût-il bientôt découvert la demeure de Chilon.

Cependant, il ne reconnut pas le Grec. Il ne l’avait vu qu’une fois, et de nuit. D’ailleurs, cet honorable vieillard, à l’air grave, qui l’avait incité à tuer Glaucos, ressemblait si peu à ce Grec courbé par la peur que personne n’eût vu en lui le même homme.