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— Si. Je me ressaisis et lui dis que je revenais d’Asie, que je m’étais démis un bras en arrivant à la ville et que j’avais cruellement souffert, mais que, près de quitter cette maison hospitalière, je constatais que la souffrance y était plus précieuse que partout ailleurs les plaisirs, la maladie plus douce que la santé sous un autre toit. Troublée aussi, la tête baissée, elle écoutait mes paroles et traçait avec son roseau quelque chose sur le sable safran. Puis elle leva les yeux, les abaissa une fois encore vers les signes qu’elle venait de tracer, les reporta de nouveau sur moi avec une velléité de me poser une question et, soudain, s’enfuit comme une hamadryade devant le plus pataud des faunes.

— Sans doute elle a de beaux yeux.

— Comme la mer, et je m’y suis noyé comme dans la mer. L’archipel, tu peux m’en croire, est d’un moins limpide azur. Peu après, le petit Plautius accourut pour me demander quelque chose. Mais je ne compris pas ce qu’il désirait de moi.

— Ô Athéné ! — s’écria Pétrone, — ôte à ce garçon le bandeau dont Éros lui voila les yeux, si tu ne veux qu’il se brise la tête aux colonnes du temple de Vénus.

Puis, se tournant vers Vinicius :

— Ô toi, bourgeon printanier de l’arbre de vie, toi, première pousse verdoyante de la vigne ! C’est non pas chez les Plautius qu’il me faudrait te faire porter, mais à la maison de Gélocius, où l’on tient école pour les jeunes gens ignorants de la vie.

— Que veux-tu dire ?

— Et qu’avait-elle tracé sur le sable ? N’était-ce point le nom de l’Amour, ou bien encore un cœur percé d’un trait, ou peut-être quelque chose où tu eusses pu reconnaître que déjà les satyres ont chuchoté à l’oreille de cette nymphe divers secrets de la vie ? Comment n’as-tu pas regardé ces signes ?

— Je porte la toge depuis plus longtemps que tu ne penses, — répliqua Vinicius, — et, avant l’arrivée du petit Aulus, j’avais déjà observé avec attention les signes. Car je n’ignore pas qu’en Grèce, et à Rome aussi, les jeunes filles écrivent souvent sur le sable des aveux que leurs lèvres n’oseraient formuler… Mais devine ce qu’elle avait dessiné ?

— Comment devinerais-je à présent, si je ne l’ai pu tout à l’heure ?

— Un poisson.

— Que dis-tu ?

— Je dis : un poisson. Voulait-elle faire entendre qu’il est glacé, le sang qui jusqu’à présent coule dans ses veines ? Je ne sais. Mais puisque, pour toi, je suis le bourgeon printanier sur l’arbre de vie, sans doute pourras-tu mieux que moi expliquer ce signe.

Carissime !