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À ces mots, il tira un sesterce, y grava une croix avec la pointe de son couteau et remit la pièce à l’ouvrier :

— Ceci est une sentence contre Glaucos et un signe pour toi. Quand, après avoir fait disparaître Glaucos, tu présenteras ce sesterce à l’évêque, il te pardonnera également l’autre meurtre que tu as commis sans le vouloir.

L’ouvrier hésita à tendre la main pour prendre la pièce ; le premier meurtre étant encore trop frais dans sa mémoire, il ressentait une sorte d’effroi.

— Père ! — dit-il d’une voix presque suppliante, — ta conscience se charge-t-elle de cette action et as-tu entendu, de tes propres oreilles, Glaucos trahir ses frères ?

Chilon comprit qu’il fallait ou donner des preuves, ou citer des noms, sans quoi le doute pourrait entrer dans le cœur du géant. Et soudain, il lui vint une inspiration heureuse :

— Écoute, Urbain, je demeure à Corinthe, mais je suis originaire de Cos et j’enseigne ici, à Rome, la doctrine du Christ à une esclave de mon pays, du nom d’Eunice. Elle sert comme vestiplice dans la maison d’un certain Pétrone, ami de César. Eh bien ! dans cette maison, j’ai entendu Glaucos s’engager à livrer tous les chrétiens et affirmer, en outre, à un autre familier de César, Vinicius, qu’il lui ferait retrouver parmi les chrétiens une jeune vierge…

Il s’arrêta pour regarder avec stupéfaction l’ouvrier, dont les yeux, brusquement, avaient étincelé comme ceux d’une bête fauve et dont le visage avait pris une expression de colère sauvage et de menace.

— Qu’as-tu ? — demanda-t-il avec quelque frayeur.

— Rien, mon père. Demain, je tuerai Glaucos !

Le Grec se tut ; un instant après, il prit l’ouvrier par les épaules et le fit se retourner de façon à pouvoir observer avec attention son visage, pleinement éclairé par la lueur de la lune. Il hésitait, ne sachant s’il fallait continuer à le questionner et tirer tout au clair ou bien s’en tenir à ce qu’il avait appris.

Sa prudence innée prit le dessus. Il respira profondément à deux reprises, puis, la main sur la tête de l’ouvrier, il lui demanda d’une voix solennelle et bien accentuée :

— Urbain est bien le nom que tu as reçu au saint baptême ?

— Oui, mon père.

— Urbain, que la paix soit avec toi !