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ne sachant que faire de l’enfant, l’envoya au gouverneur de la Germanie, Pomponius. Après la guerre des Canes, celui-ci rentra à Rome, où Claude, tu le sais, lui fit décerner les honneurs du triomphe. La fillette suivit le char du vainqueur ; mais après la cérémonie, un otage ne pouvant être considéré comme une captive et Pomponius ne sachant que faire d’elle, la confia à sa sœur, Pomponia Græcina, femme de Plautius. Sous ce toit, où tout est vertueux, depuis les maîtres jusqu’aux volatiles de la basse-cour, elle grandit vierge, aussi vertueuse, hélas ! que Græcina, et si belle que Poppée en personne semblerait à côté d’elle une figue d’automne auprès d’une pomme des Hespérides.

— Et alors ?

— Alors, je te le répète, depuis que j’ai vu les rayons passer à travers son corps pour se jouer dans l’eau du bassin, je l’aime à en devenir fou.

— Est-elle donc aussi transparente qu’une lamproie ou qu’une petite sardine ?

— Ne plaisante pas, Pétrone ; et si tu t’illusionnes parce que je parle avec calme de ma passion, rappelle-toi que souvent sous une toge élégante se cachent de profondes blessures. Je dois te dire aussi qu’à mon retour d’Asie, j’ai passé une nuit dans le temple de Mopsus dans l’espoir d’un songe prophétique, et là Mopsus m’apparut lui-même et m’annonça que l’amour devait amener un changement complet dans ma vie.

— J’ai entendu Pline dire qu’il ne croyait pas aux Dieux, mais qu’il croyait aux songes, et il est possible qu’il ait raison. En dépit de mes plaisanteries, je n’en pense pas moins quelquefois qu’en réalité il n’y a qu’une seule divinité, éternelle, toute-puissante, créatrice : Venus Genitrix. C’est elle qui fond tout ensemble les âmes, les corps et les choses. Éros a tiré le monde du chaos. A-t-il bien fait ? Ce n’est pas là la question ; mais puisqu’il en est ainsi, nous pouvons bien reconnaître sa puissance, sauf à ne pas l’adorer…

— Ah ! Pétrone ! il est plus facile de philosopher que de donner un bon conseil.

— Que veux-tu en somme ?

— Je veux Lygie ! Je veux que mes bras, qui maintenant n’étreignent que le vide, l’étreignent et la pressent contre ma poitrine. Je veux boire son souffle. Si c’était une esclave, je donnerais pour elle à Aulus cent jeunes filles aux pieds blanchis à la craie, en signe qu’elles n’ont jamais été mises en vente. Je veux la garder chez moi jusqu’au jour où ma tête sera aussi blanche que la cime du Soracte pendant l’hiver.

— Elle n’est pas esclave, certes, mais, en réalité, elle appartient à la familia de Plautius et, comme c’est une enfant abandonnée,