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Sir Peter. — Oui, oui, madame, vous étiez alors d’un style quelque peu plus humble : la fille d’un simple gentilhomme campagnard. Rappelez-vous, lady Teazle, quand je vous vis pour la première fois assise à votre métier, en jolie robe d’indienne, avec un trousseau de clefs au côté ; vos cheveux roulés en bandeaux unis, et votre appartement tout tendu de fruits en tapisserie, ouvrage de vos mains.

Lady Teazle. — Oh ! oui, je m’en souviens très-bien… Singulière existence que je menais !… Mes occupations journalières étaient d’inspecter la laiterie, surveiller la basse-cour, tenir le livre de ménage, — et peigner le bichon de ma tante Déborah.

Sir Peter. — Oui, oui, madame, c’était bien cela.

Lady Teazle. — Et puis, vous savez, mes amusements du soir ? Dessiner des patrons de manchettes, que je n’avais pas de quoi broder ; jouer au nain jaune[1] avec le vicaire ; lire un roman à ma tante, ou bien rester clouée à tapoter sur une vieille épinette, pour endormir mon père, après une chasse au renard. (Elle passe de l’autre côté.)

Sir Peter. — Je suis enchanté que vous ayez si bonne mémoire. Oui, madame, tels étaient les plaisirs auxquels je vous enlevai. Mais, maintenant, il vous faut votre carrosse à six places et trois laquais poudrés devant votre chaise à porteurs ; et, en été, une paire de poneys blancs

  1. Le texte porte : jouer à la papesse Jeanne. C’est l’équivalent de notre nain jaune.