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plus divers qui se heurtent, s’entre-croisent et hurlent de se voir assemblés. Mais quelles mœurs peignent-ils, et de quelles couleurs, criardes, outrées ! Ce ne sont pas les travers humains que ces messieurs représentent : ils n’en ont pas le temps, la capacité ou le courage. Les vices hideux, les difformités, les monstruosités sociales, voilà leur spécialité, leur triomphe ! Quand ils n’en trouvent pas sous la main, ils en inventent. Ce ne sont dans leurs boutiques que femmes à cinq ou six amants, maris à cinq ou six femmes, passions excentriques et non classées, qu’ils montrent aux badauds, dont ils présentent la description sous toutes les faces, comme nos Barnums forains exhibent des veaux à six pattes et des fœtus conservés dans l’esprit-de-vin.

Et que dire de leurs intrigues ? Hélas ! de loin c’est quelque chose et de près ce n’est rien. On rit beaucoup aujourd’hui de l’imbroglio naïf de certaines pièces de Molière, d’après le canevas italien, des reconnaissances d’enfant miraculeuses, etc., et l’on ne s’aperçoit pas que les intrigues les plus vantées du théâtre contemporain ne sont souvent qu’un tissu d’audacieuses invraisemblances, un composé de trucs puérils invariablement les mêmes, un paquet de ficelles soigneusement mises en réserve, et qui servent à tous, comme les décors, les châssis et les portants. Ce sont toujours les mêmes bas et la même cravate.

Nous sera-t-il difficile de prouver ce que nous avançons ici ? Nullement. Prenons, par exemple, l’innocente intrigue de l’École de la Médisance : ce sera prendre celle de la plupart des comédies des xvii et xviii siècles. Nous avons le raisonneur, le mari ridicule, la femme coquette, l’oncle d’Amérique, le deus ex machina de la chose, le traître, les deux jeunes amants, enfin la troupe ordinaire des personnages