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Là une caverne était béante, et au milieu de ses profondeurs obliques et tortueuses s’engouffrait la mer précipitée… Le bateau volait toujours avec une vitesse sans relâche : « Vision et amour ! » cria bien haut le poète, « j’ai vu le sentier de ton départ ! Le Sommeil et la Mort ne nous sépareront plus longtemps ! »

Le bateau suivait les tournants de la caverne. — La lumière du jour brilla enfin sur le sombre courant. Maintenant que la furieuse guerre entre les vagues était calmée, sur l’abîme insondable le bateau avançait lentement. À l’endroit où la montagne fendue exposait ses noires profondeurs à l’azur du ciel, avant même que l’énorme masse de l’inondation fût tombée sur la base du Caucase avec un fracas qui ébranla les rocs éternels, un immense tourbillon remplissait ce vaste gouffre ; degré par degré les eaux tourbillonnantes s’étaient élevées, s’étendant en cercle avec une incommensurable rapidité, et baignaient de leur choc alterné les racines noueuses des arbres puissants qui étendaient sur elles leurs bras géants dans l'obscurité. Au milieu avait été laissé, réfléchissant l’image déformée des nuages, un étang d’un calme perfide et redoutable. Saisi par le mouvement ascendant du courant avec une vertigineuse rapidité, le bateau tourna, tourna, tourna, vague après vague, s’élevant avec effort, jusqu’à ce que sur la limite de l’extrême courbe, à l’endroit où les eaux débordent à travers une ouverture de bancs de rochers, et laissent un doux lieu de limpide repos au milieu de ces flots agités, il s’arrêtât frémissant. S’enfoncera-t-il dans l’abîme ? La violence en retour de cet irrésistible gouffre l’engloutira-t-elle ? Doit-il donc périr ?… Voilà qu’au souffle errant d’un vent de l’ouest, la voile se gonfle et s’étend, et