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liarisé comme il est avec les spéculations des esprits les plus sublimes et les plus parfaits, la vision dans laquelle il incorpore ses propres fantaisies réunit en merveilleux, en sagesse, en pureté, tout ce que le poète, le philosophe ou l’amant pourraient peindre. Les facultés intellectuelles, l’imagination, les fonctions du sentiment s’adressent aux facultés correspondantes dans les autres esprits humains pour y trouver intelligence et sympathie. Le poète est représenté comme réunissant ces diverses aspirations, et les attachant à une seule image. Mais il cherche en vain dans la réalité un prototype de sa conception. Désappointé et abattu, il descend prématurément à la tombe.

Ce tableau n’est pas dépourvu d’enseignement pour les hommes d’aujourd’hui. L’isolement volontaire du poète a été vengé par les furies d’une irrésistible passion qui le pousse rapidement à sa ruine. Mais le même pouvoir qui frappe les flambeaux du monde d’un obscurcissement et d’une extinction soudaine, en les éveillant à une perception trop exquise de ses influences, condamne à une lente et dissolvante agonie ces esprits de trempe inférieure, qui osent abjurer son empire. Leur destinée est d’autant plus abjecte et obscure que leur prévarication est plus méprisable et plus pernicieuse. Ceux qui, n’ayant jamais été déçus par une généreuse erreur, ni poussés par la soif sacrée d’une science pleine de doutes, ni dupés par aucune noble illusion, n’aiment rien sur cette terre, ne caressent aucune espérance au delà, et restent étrangers à toute sympathie humaine, ceux-là et ceux qui leur ressemblent ont la destinée qu’ils méritent. Ils languissent, parce qu’il n’y a personne dont la nature sympathise avec la leur. Ils sont moralement morts. Ils ne sont ni amis, ni amants, ni pères, ni citoyens du monde, ni bienfaiteurs de leur pays. Au milieu de ceux qui essaient ainsi de vivre en dehors de toute sympathie humaine, les cœurs purs et tendres périssent victimes de l’ardente passion avec laquelle ils recherchent ses liens, du jour où le vide de leur esprit s’est fait soudainement sentir. Le reste, égoïste, aveugle, engourdi, forme ces multitudes insouciantes qui font, avec la leur,