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REINE MAB

trouvèrent vie et place dans la pensée corrompue de ton cœur aveugle ; cependant tes jeunes mains restèrent encore pures du sang de l’homme. Puis la virilité communiqua sa force et son ardeur à ta cervelle en délire. Ton regard plus passionné scruta la terrible scène, dont les prodiges se riaient de ton orgueilleuse science ; leurs lois éternelles et immuables accusaient ton ignorance. Pendant quelque temps tu restas déconcertée et sombre. Alors, tu réunis les éléments de tout ce que tu connaissais, le changement des saisons, le règne sans feuilles de l’hiver, les astres bourgeonnant sous la palpitation du ciel, les orbes éternels qui embellissent la nuit, le lever du soleil et le coucher de la lune, les tremblements de terre et les guerres, les poisons et la maladie : et faisant converger toutes leurs causes en un point abstrait, ne faisant de tout cela qu’une chose, tu l’appelas Dieu ! Celui qui se suffit à lui-même, le tout-puissant, le miséricordieux, et le Dieu vengeur — qui, prototype de l’humaine déraison, est assis bien haut dans le royaume du Ciel sur un trône d’or, comme un simple roi de la terre ! et dont l’œuvre redoutable, l’Enfer, s’ouvre pour toujours pour les malheureux esclaves du destin, qu’il a créés en se jouant, pour triompher de leurs tourments une fois qu’ils y sont tombés…La Terre entendit ce nom, la Terre trembla, et la fumée de sa revanche monta jusqu’au ciel, effaçant les constellations ; et les cris de millions d’hommes immolés dans la douce confiance d’une paix sans soupçons, et malgré les assurances confirmées par des serments verbeux jurés en ce nom redoutable, retentirent à travers la plaine Pendant que d’innocents enfants se tordaient sur ton inflexible lance, et que tu riais d’entendre les mères pousser des cris de délirante