36 ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY
servir qu’à éclairer l’abîme effrayant étendu grand ouvert sous ses pas ?
« La Nature ! non ! — Rois, prêtres, hommes d’État ont flétri la fleur humaine dans son tendre bouton ; leur influence infiltre comme un subtil poison dans les veines exsangues de la société désolée ! L’enfant, avant qu’il puisse bégayer le nom sacré de sa mère, sent se gonfler en lui l’orgueil dénaturé du crime, et brandit son épée de baby à la façon d’un héros ! Cette arme d’enfant deviendra le fouet le plus sanglant de la terre dévastée : tandis que des noms spécieux, appris à l’heure insouciante de la molle enfance, servent de sophismes avec lesquels l’humanité obscurcit le brillant rayon de la raison, et sanctifient l’épée qui se lève pour verser le sang innocent d’un frère ! Que les esclaves conduits par le prêtre cessent de proclamer que l’homme hérite du vice et de la misère, quand la force et le mensonge sont suspendus jusque sur l’enfant dans son berceau, étouffant de leur rude étreinte tout bien naturel !
« Ah ! pour l’âme étrangère, quand pour la première fois elle hasarde un regard hors de son nouveau séjour, cherchant au dehors bonheur et sympathie, comme ce petit coin de l’immense monde est dur et désolé ! Comme tous les boutons du bien naturel sont tristement flétris ! Aucune ombre, aucun abri pour elle contre les tourbillons déchaînés d’un pouvoir sans pitié ! Sur sa malheureuse existence, empoisonnée peut-être par les maladies et les douleurs qu’ont accumulées sur les misérables parents dont elle est sortie les moeurs, la loi, la coutume — les purs vents du ciel, qui renouvellent la race des insectes, ne peuvent souffler ! L’incorruptible lumière du jour ne peut visiter ses ardents désirs ! Elle est