Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

Éléments ! suspendez votre colère ! Dors, Océan, dans les chaînes de rochers qui forment ton domaine ! Qu’on ne voie pas un souffle agiter les herbes qui croissent là-bas au sommet de la ruine ! Que le fil de la vierge toujours en mouvement dorme lui-même sur l’air immobile !… Et toi, Âme d’Ianthe, toi seule jugée digne de la faveur enviée, réservée aux bons et aux sincères, à ceux qui ont lutté, et qui, à force de résolution, ont triomphé de l’orgueil et des bassesses de la terre, brisé les chaînes… les chaînes de glace de la coutume, et fait briller sur leur âge les astres du jour… Âme d’Ianthe ! Éveille-toi ! Debout ! » Soudain se leva l’Âme d’Ianthe ; elle apparut, toute belle, dans sa pureté nue, parfaite image de sa forme corporelle. Une beauté et une grâce inexprimables l’animaient ; toute tache terrestre avait disparu en elle ; elle avait repris sa dignité native, et se tenait debout immortelle… sur une ruine !

Sur la couche, le corps gisait, enveloppé dans les profondeurs de l’assoupissement ; ses traits étaient fixes et sans expression ; cependant la vie animale était encore là, et chaque organe accomplissait encore ses fonctions naturelles ; c’était un spectacle prodigieux de contempler à la fois le corps et l’âme. C’étaient les mêmes linéaments, une parfaite identité extérieure. Et cependant, quelle différence !… L’une aspire au ciel, ne soupire qu’après son héritage éternel, et toujours changeante, toujours s’élevant, s’ébat dans l’être sans fin. L’autre, pour un temps jouet involontaire des circonstances et de la passion, s’agite et lutte ; il traverse d’un vol rapide sa triste durée, et bientôt, comme une machine inutile et hors de service, il pourrit, périt et passe.