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REINE MAB





I


[1] Quel prodige que la Mort !… la Mort, et son frère le Sommeil ! L’une, pâle comme la lune qui là-bas s’évanouit, avec des lèvres d’un bleu livide ; l’autre, rosé comme le matin, quand, trônant sur la vague de l’Océan, il empourpre le monde ; tous deux dans leur passage, prodigieux mystère !

Le sombre pouvoir qui règne sur les sépulcres infects s’est-il donc emparé de son âme innocente ? * Cette incomparable forme, que l’amour et l’admiration ne peuvent voir sans un battement de cœur, ces veines d’azur qui serpentent comme des courants le long d’un champ de neige, cet adorable contour, beau comme un marbre respirant, tout cela doit-il périr ? Le souffle de la putréfaction ne doit-il rien laisser de cette apparition céleste que hideur et que ruine ? ne rien épargner, qu’un lugubre thème sur lequel le cœur le plus léger pourra moraliser ?… Ou n’est-ce qu’un doux assoupissement envahissant les sens, que le souffle du matin rosé fait fuir dans les ténèbres ? Ianthe s’éveillera-t-elle encore, pour rendre la joie à ce cœur fidèle dont l’esprit sans sommeil est aux aguets pour saisir lumière, vie, extase dans son sourire ? *

  1. Les astérisques renvoient aux notes de l’Appendice, page correspondante.