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ment graduel et lugubre. De même qu’avec l’écoulement des rapides années, le front poli se ride, la chevelure devient rare et blanche et, là où brillaient des yeux étincelants comme la rosée, il n’y a plus que la lueur d’orbes pétrifiés ; de même sous ses pas les brillantes fleurs disparaissaient, ainsi que la belle ombre des verts bosquets, avec toutes leurs brises odorantes et leurs ondulations musicales. Calme, il suivait toujours le courant, qui maintenant avec un plus large volume roulait à travers le labyrinthe de la vallée, et là se frayait un chemin parmi les courbes descendantes avec sa rapidité d’hiver. De chaque côté maintenant s’élevaient des rocs, qui avec d’inimaginables formes dressaient leurs noirs et stériles sommets dans la lumière du soir ; et son précipice assombrissant le ravin s’ouvrait en haut, au milieu des pierres dégringolantes, des gouffres noirs et des cavernes béantes, dont les détours donnaient dix mille langues différentes au retentissement du torrent. Voyez ! à l’endroit où le défilé étend ses mâchoires de pierre, la montagne abrupte se brise et semble, avec ses rochers accumulés, se suspendre sur le monde ; car on voit se déployer au loin, sous les pâles étoiles et la lune déclinante, des mers peuplées d’îles, de bleues montagnes, de puissants fleuves, d’obscures et vastes régions baignant dans la lueur miroitante du soir couleur de plomb, et des sommets de feu mêlant leurs flammes au crépuscule sur le bord de l’extrême horizon. La scène voisine, dans sa simplicité nue et sévère, faisait un frappant contraste avec l’univers. Un pin, enraciné sur le roc, étendait dans le vide ses branches qui se balançaient, ne donnant à chaque souffle du vent capricieux, à chacune de ses pauses, qu’une seule