Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mousse, avec une harmonie sourde, sombre et profonde. Tantôt sur les pierres polies il dansait, liant, comme un enfant, à mesure qu’il allait ; puis à travers la plaine il rampait en de tranquilles détours, réfléchissant chaque herbe, chaque bouton languissamment suspendu sur son repos. — « Ô courant, à la source insondable, où vont tes eaux mystérieuses ? Tu es pour moi l’image de ma vie. Ton lugubre silence, tes vagues éblouissantes, tes gouffres bruyants et creux, ton impénétrable source et ton cours invisible, tout cela a son type en moi. L’immense ciel, et l’océan sans mesure peuvent révéler aussi facilement quelles cavernes bourbeuses ou quel nuage errant contiennent tes eaux, que l’univers peut dire où résident ces pensées vivantes, quand, étendus sur tes fleurs, mes membres desséchés se consumeront dans le vent qui passe ! »

Il approcha du bord uni du petit courant ; il imprima son pas tremblant sur la verte mousse, qui frémit violemment au contact de ses membres brûlants. Semblable à celui que chasse de sa couche fiévreuse quelque joyeux délire, il allait ; mais sans oublier, comme lui, le tombeau où il va descendre, quand la flamme de sa frêle exaltation sera épuisée. D’un pas rapide il s’avançait sous l’ombre des arbres, à côté du courant du capricieux et babillard ruisseau ; mais voici que les dais solennels de la forêt ont fait place à la lumière uniforme du ciel du soir. De gris rochers perçaient la mousse rare et refoulaient le ruisseau récalcitrant ; de hautes aiguilles de chaume projetaient leur ombre grêle sur le talus inégal, et seuls les troncs noueux d’antiques pins sans branches et flétris accrochaient au sol, malgré lui, leurs racines étreignantes. Il se fit alors un change-