Page:Shelley - Œuvres en prose, 1903, trad. Savine.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
DE PERCY BYSSHE SHELLEY

J’envisage ces choses avec espoir et plaisir, parce que je suis d’avis que leur accomplissement est certain, et parce que les hommes ne voudront plus alors être méchants et misérables. Si demain vous deveniez tous vertueux et sages, le gouvernement qui est aujourd’hui pour vous une protection, deviendrait alors une tyrannie.

Mais je ne puis compter sur un changement rapide.

Beaucoup d’hommes sont obstinés et endurcis dans leur vice ; leur égoïsme les porte à ne songer qu’à leur propre intérêt, alors qu’en réalité le meilleur moyen de le servir consiste à faire le bonheur d’autrui. Je ne souhaite pas devoir les choses changer maintenant, parce que cela ne saurait avoir lieu sans violence, et nous pouvons être certains que parmi nous personne n’est prêt pour un changement quelconque, si avantageux qu’il soit, si nous nous abaissons à mettre la force au service d’une cause que nous croyons juste. La force met tous les torts du côté qui l’emploie, et malgré toute notre pitié pour le zèle emporté et intolérant de ses adhérents, nous ne pouvons l’approuver.

Pouvez-vous concevoir, ô Irlandais, un heureux état social, — concevoir des hommes qui pensent de cent manières différentes et qui vivent ensemble comme des frères ? Le descendant du plus grand prince n’aurait pas droit à plus de respect que le fils d’un paysan. Il n’y aurait point de pompe, point de parade, mais ce qu’aujourd’hui les riches gardent pour eux serait alors distribué entre le peuple. Nul ne vivrait au milieu de la magnificence,