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ŒUVRES EN PROSE

Il est hors de doute que le monde va de travers, ou plutôt qu’il a le plus grand besoin d’être fortement amendé. Ce qui selon moi l’améliorerait, ce serait de favoriser une distribution plus égale, plus générale du bonheur et de la liberté.

Bien des gens sont très riches, et bien des gens sont très pauvres.

Lesquels sont les plus heureux, d’après vous ?

Je puis vous dire qu’ils ne le sont ni les uns ni les autres, en tant que l’on ne tient compte que de leur situation. La nature n’a jamais entendu qu’il y eût rien de tel qu’un homme pauvre ou un riche.

Étant dans une situation anti-naturelle, ni l’un ni l’autre ne peut être heureux, du moins par le fait de sa situation.

Le pauvre naît pour obéir au riche, bien qu’ils viennent au monde dans le même état de faiblesse, la même nudité. Mais le pauvre n’est d’aucune utilité au riche quand il lui obéit ; le riche ne rend aucun service au pauvre en lui donnant des ordres.

Il serait bien préférable qu’on pût les déterminer à vivre sur le pied d’une égalité fraternelle. Au bout du compte, tous deux seraient plus heureux. Mais c’est une chose qui ne saurait être réalisée ni aujourd’hui ni demain ; si désirable que soit un pareil changement, il est absolument impossible. En ceci, comme dans le reste, la violence et la folie n’aboutiraient qu’à reculer le moment de la réalisation. La douceur, la modération, la raison, voilà les moyens efficaces de favoriser les plans de liberté et de bonheur.

Bien que nous puissions voir bien des choses se