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DE PERCY BYSSHE SHELLEY

tique du reproche de futilité et d’impertinence. Nous n’hésitons pas à regarder ce roman comme le produit d’un esprit hardi et original. Nous nous souvenons de n’avoir que rarement vu une plus subtile délicatesse d’imagination, grâce à laquelle les nuance visibles du caractère et de la forme sont saisies et fixées en tableaux qui rendent la nature plus belle qu’elle-même. Le vulgaire ne perçoit les ressemblances et les différences qu’autant qu’elles sont grossières et frappantes. La science de l’esprit, a laquelle l’histoire, la poésie, la biographie fournissent ses matériaux, consiste à discerner des nuances, des distinctions, là où l’ignorant ne voit qu’une masse informe et dépourvue de sens. C’est l’aptitude à ce discernement qui fait la différence entre le génie et la sottise. Il y a, dans l’ouvrage que nous avons sous les yeux, des passages qui nous offrent des modèles de cette juste et rapide intuition propre aux seules intelligences qui possèdent cette faculté à un haut degré. Au point de vue de la composition, le livre est loin d’être sans défauts. Sa forme abrupte et anguleuse ne semble pas avoir reçu le moindre poli, la moindre correction. L’auteur a écrit avec entraînement, mais il a dédaigné de prendre le temps de se réviser, les erreurs sont celles de la jeunesse et du génie, et la bouillante impatience de facultés sensibles qui se délivrent impétueusement de leur fardeau. L’auteur met une orgueilleuse négligence à relier les incidents de son récit, qui ressemble plutôt à celui du rêve qu’aurait fait en plein jour un poète, auquel apparaissent parfois les visions les plus