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ŒUVRES EN PROSE

ou le bonheur, longtemps avant qu’on entendît parler d’aucune des religions qui existent maintenant dans le monde. La seule utilité que j’aie jamais pu découvrir dans une religion, c’est de rendre les hommes plus sages et meilleurs. Elle vaut d’autant mieux qu’elle atteint de plus près ce but. Or, si les gens sont honnêtes, et que pourtant ils aient des manières de voir différentes des vôtres, cela réalise tous les vœux qu’un homme raisonnable peut former, et soit qu’il pense comme vous, soit qu’il pense autrement, cela est trop peu important pour justifier l’emploi de moyens qui doivent répugner aux esprits droits et les révolter. Non certes, ils ne sauraient approuver de tels moyens. Car, comme je l’ai déjà dit, vous ne sauriez croire ou ne pas croire à votre gré. Peut-être en est-il parmi vous qui se l’imaginent, mais ils n’ont qu’à essayer.

Je vais prendre un exemple dans la vie de tous les jours.

Supposons que vous ayez un ami dont vous ne vouliez avoir qu’une opinion favorable. Il commet un crime qui vous prouve qu’il est un scélérat. C’est un grand chagrin pour vous que d’avoir sur lui une opinion fâcheuse, et vous ne demanderiez qu’à le juger favorablement, si vous le pouviez. Mais, notez bien ce mot, vous ne le pouvez pas, vous n’auriez plus l’esprit en paix si vous le pouviez. Vous vous y efforcez, mais vos efforts sont vains. Cela montre que l’homme a bien peu d’empire sur sa croyance, ou plutôt qu’il ne saurait croire ce qu’il ne regarde pas comme vrai.

Et maintenant que devrons-nous penser ?