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ŒUVRES EN PROSE

de vérité et d’erreur. Clifford est un personnage qui sans avoir les traits qui, d’ordinaire, constituent le sublime, est sublime par le seul excès de charme et d’innocence. La première rencontre d’Henrietta et de Mandeville est un incident tout illuminé de l’aurore de la vie. Il rappelle à la mémoire mainte vision, et peut-être une seule — que l’atmosphère trompeuse des espérances encore vierges entourée d’une auréole d’un rose brillant comme celui du matin, une lueur qui, une fois éteinte, ne se rallumera jamais. Henrietta paraît dès l’abord posséder tout ce qu’un cœur sensible trouve dans l’objet de sa première passion. Nous pouvons à peine la voir, tant elle est belle. Il y a tout autour d’elle un halo d’enchantement éblouissant, qui dérobe aux yeux tout ce qu’il y a de mortel dans ses charmes transcendants. Mais le voile est tiré peu à peu et elle « se confond dans la lumière ordinaire du jour. » Ses actions, et même ses sentiments ne correspondent pas à l’élévation de ses opinions spéculatives, à la sincérité intrépide qui devrait accompagner la vérité et la vertu. Mais elle a une affection partagée, et elle n’est fidèle que là où l’infidélité aurait été de l’abnégation. L’immaculée Henrietta eût-elle pu subordonner son amour pour Clifford à la vaine et humiliante circonstance de la richesse et de la réputation, aux bavardages d’une misérable vieille femme, et cependant se préparer résolument à sa fête nuptiale, aussitôt après avoir entendu les supplications que lui adresse Mandeville dans sa folie si passionnée et si touchante ? L’auteur eût bien fait de nous mon-