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ŒUVRES EN PROSE


III


Les Athéniens avaient raison quand ils célébraient, par un deuil public, la mort de ceux qui avaient dirigé l’État par leur valeur et leur intelligence, ou l’avaient illustré par leur génie. Les hommes ont raison, quand ils portent le deuil des morts ; cela prouve que nous aimons d’autres êtres que nous-mêmes, et il doit avoir le cœur dur, celui qui peut voir son ami partir pour la corruption et la poussière, et qui sans émotion, le conduit sur la route vers « ce but d’où jamais ne revient aucun voyageur. »

Pleurer ceux qui ont rendu service à l’État, est une habitude pieuse qui développe encore davantage le culte de nos plus chères affections.

À la mort de Milton, il eût été bon que toute la nation anglaise se fût solennellement vêtue de noir, et que les cloches enveloppées d’étoffe eussent retenti de ville en ville.

La nation française eût dû ordonner un deuil public à la mort de Rousseau et de Voltaire.

Nous ne pouvons éprouver un vrai chagrin pour tous ceux qui meurent en dehors du cercle des êtres qui nous sont particulièrement chers ; pourtant lorsque s’éteignent les objets de l’amour, de l’admiration et de la reconnaissance de tous, il y a, pour ceux qui ont un cœur large, quelque chose de disparu, dans ce cercle.