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ACTE I, SCÈNE II.

qu’un œil trop curieux épie mes difformités ; voici le front aux sourcils épais qui rougira pour moi.

BENVOLIO. — Allons, frappons et entrons ; et aussitôt que nous serons entrés, que chacun fasse mouvoir ses jambes.

ROMÉO. — Une torche pour moi : que les folâtres qui sont gais de cœur chatouillent de leurs talons les nattes insensibles18 ; quant à moi, je suis parfaitement défini par quelqu’un des adages de nos grands-pères : — « je tiendrai la chandelle et serai spectateur, » — « jamais le gibier n’a été plus beau et la chassé est finie pour moi. »

MERCUTIO. — Bah ! comme, dit le sergent de police, la souris est engluée19 ; et si tu es englué, nous te tirerons de ce bourbier, ou de cet amour (sauf votre respect), où tu t’enfonces jusqu’aux oreilles. Marchons, nous brûlons là nos flambeaux en plein jour, eh !

ROMÉO. — Non, il n’en est pas ainsi.

MERCUTIO. — Je veux dire, Messire, qu’en retardant, nous dépensons nos lumières en vain, comme des lampes pendant le jour. Prenez nos paroles dans le sens que leur donne notre bonne intention, car notre jugement est cinq fois dans l’intention plutôt qu’une fois dans nos cinq facultés raisonnables.

ROMÉO. — Et nous avons bonne intention en allant à cette mascarade ; cependant il n’est pas raisonnable d’y aller.

MERCUTIO. — Pourquoi cela ? peut-on le demander ?

ROMÉO. — J’ai fait un songe cette nuit.

MERCUTIO. — Et moi aussi.

ROMÉO. — Bon, quel était le vôtre ?

MERCUTIO. — Que les rêveurs s’enfoncent souvent [1].

ROMÉO. — Au lit, quand ils dorment, et qu’ils rêvent des choses vraies.

MERCUTIO. — Oh ! en ce cas, je vois que la reine Mab vous a visité. C’est la sage femme des fées20 ; elle se présente sous une forme qui n’est pas plus grosse que l’agate

placée à l’index d’un conseiller municipal, et traînée sur

IX — 4
  1. Il y a ici un jeu de mots presque intraduisible qui porte sur le mot lie qui signifie à la fois mentir et se coucher. Roméo entend le mot dans le dernier sens