Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/35

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du cœur humain pour ignorer cette loi de la vie morale des jeunes gens ; aussi a-t-il placé aux côtés de Roméo deux personnages qui représentent les deux genres d’amis que nous venons de décrire. Benvolio est l’ami sage, modéré et prudent, le conseiller, le mentor ; Mercutio est l’ami fou, brillant, amusant, le camarade et le complice ». « Mercutio est le véritable pivot du drame ; car si vous supprimez ce personnage, le duel dans lequel Roméo tue Tebaldo se comprend plus difficilement, et en tout cas n’a plus aucune légitime excuse. Pourquoi Shakespeare a-t-il choisi Mercutio pour le faire frapper par l’épée de Tebaldo plutôt que Benvolio ? Mercutio, après tout, n’est qu’un étranger pour Roméo, tandis que Benvolio est son propre cousin. Mais Shakespeare savait bien que pour arracher Roméo au souvenir de Juliette, il fallait que l’épée de Tebaldo atteignît l’ami qui lui était le plus cher, et que des amis de tout jeune homme, le préféré, celui qui est le plus près du cœur, c’est toujours le plus fou et le plus brillant. L’homme qui est là étendu mort, c’est Mercutio, l’ami de ses journées heureuses, l’amusant compagnon qui l’a tant de fois amusé de ses saillies, qui a si souvent soufflé sur sa mélancolie, le camarade qui a si souvent, le soir, battu avec lui les rues de Vérone. Tous les souvenirs de sa jeunesse, veuve de son compagnon préféré, s’éveillent soudain et lui montent au cerneau en fumées de colère. Il faut que ce soit lui, Mercutio, qui soit là mort, pour que Roméo puisse oublier un instant Juliette et la parenté récente qui l’unit à Tebaldo, » Bien souvent nous avons admiré Shakespeare comme peintre des races humaines et des époques historiques ; mais jamais peut-être il n’a été aussi digne d’admiration que dans cette pièce, où il fait apparaître devant nous la nature italienne avec sa véhémence passionnée, ses volcans à fleur d’âme, et sa vie morale si prompte à se jeter en dehors du moi intime. Nous détacherons encore