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logne ni la Norwége n’en retireraient pas un plus, gros revenu, même quand elles le vendraient en toute propriété.

HAMLET. — Mais, en ce cas, les Polonais ne le défendront jamais.

LE CAPITAINE. — Pardon, il s’y ont déjà mis garnison.

HAMLET. — Deux mille âmes et vingt mille ducats ne suffiront pas pour résoudre le litige de ce brin de paille : c’est là l’abcès né de trop de richesse et d’une trop longue paix, " qui crève à l’intérieur du corps sans montrer par quelle cause l’homme meurt. — Je vous remercie humblement, Monsieur.

LE CAPITAINE. — Dieu soit avec vous, Monsieur. (Il sort.)

ROSENCHANTZ. — Vous plairait-il de venir, Monseigneur ?

HAMLET. — Je suis à vous tout à l’heure. Marchez un peu devant. (Tous sortent.) Comme toutes les circonstances s’unissent pour m’accuser et éperonner ma lente vengeance ! Qu’est-ce qu’un homme, si son principal bien et le principal emploi de son temps consistent à dormir et à se nourrir ! une bête, pas autre chose. À coup sûr celui qui nous forma avec cette vaste raison capable d’embrasser à la fois le présent et l’avenir, ne nous donna pas cette capacité, cette divine faculté pour qu’elle moisît inactive en nous. Est-ce bestial oubli ? est-ce scrupule peureux d’une pensée qui réfléchit trop minutieusement sur l’acte à accomplir, — pensée dans laquelle il entre un quart de sagesse sur trois quarts de lâcheté ? — je ne sais vraiment pourquoi j’en suis encore à dire « cette chose doit être faite, » puisque j’ai cause, volonté, force, et moyens pour la faire. Des exemples, gros comme le monde, m’encouragent : témoin cette armée d’un tel nombre et d’un tel train, conduite par un prince tendre et délicat, dont l’âme gonflée par une divine ambition fait la grimace à l’invisible issue de cette entreprise, et expose tout ce qui en lui est mortel et incertain, à tous les périls que la fortune, la mort et le danger peuvent lui faire