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ROMÉO ET JULIETTE.

et ne nous fait tressaillir, tout cela nous parait chose ordinaire et presque vulgaire, tant Bandello nous le raconte avec familiarité, et bonhomie. C’est qu’en effet toutes ces choses étaient pour Bandello choses d’occurrence familière ; il avait vécu pour ainsi dire dans leur intimité de tous les jours. En a-t-il assez vu, appris, observé, ramassé de ces tragiques ou aimables histoires dans toutes les régions brûlantes de cette Italie sans frein, à Rome, à Naples, à Florence, à Venise, à Vérone, à Gênes, à Milan. Grâces à cette intimité familière, les passions et les aventares les plus extraordinaires deviennent explicables, tant il nous en montre bien les ressorts invisibles, les mobiles secrets, le jeu lent et latent. Aussi Bandello est-il celui de tous les conteurs italiens qui nous fait le mieux comprendre l’Italie et dont les œuvres ont le goût de terroir le plus prononcé. Cette saveur de terroir est chez Bandello aussi variée qu’elle est forte. C’est toujours la saveur italienne, mais légèrement différente selon la localité qui sert de scène, en sorte que ses nouvelles diffèrent entre elles d’arôme et de goût, selon qu’elles se passent à Rome, à Florence, ou à Venise, comme diffèrent les divers crus d’une même région vinicole. Quiconque voudra savoir en quoi les mœurs d’une ville différaient de celles d’une autre ville, comment le débordement voluptueux des Vénitiennes différait de la galanterie des Bolonaises, ou de la fierté tragique des Romaines, trouvera dans Bandello plus que partout ailleurs ces renseignements qui composent l’érudition des âmes imaginatives.

L’absence de romanesque dans le romanesque le plus excessif, telle est la définition un peu bizarre, mais parfaitement précise dans sa bizarrerie qu’on pourrait donner de Bandello. Ce caractère tient, disons-nous, à la familiarité et à la bonhomie aisée avec lesquelles Bandello mène ses récits, et cette familiarité à son tour tient à sa longue habitude de l’Italie. Elle, tient encore à autre chose, et cette autre chose fait de Bandello le rival sou-