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puisque je suis, Seigneur, un raccommodeur de vieilles âmes de chausses[1].

Marullus. — Quel métier, drôle ? Quel métier, méchant drôle ?

Deuxième citoyen. — Voyons, je vous en prie, Seigneur, que je ne vous mette pas hors de vous ; et cependant si vous avez certaine chose qui se montre en dehors, Seigneur, je puis vous raccommoder.

Marullus. — Qu’entends-tu par là ? Me raccommoder, impertinent garçon ?

Deuxième citoyen. — Parbleu, Seigneur, vous ressemeler.

Flavius. — Tu es savetier, alors ; est-ce là ton métier ?

Deuxième citoyen. — Vraiment, Seigneur, je ne vis absolument que par l’alêne : je ne me mêle des affaires des hommes et des affaires des femmes qu’avec l’alêne. Je suis, en vérité, Seigneur, un chirurgien de vieux souliers ; lorsqu’ils sont en grand danger, je les rétablis, et il n’est pas d’homme si fier qu’il soit, ayant marché sur du cuir de vache, qui n’ait marché sur l’ouvrage de mes mains.

Flavius. — Mais pourquoi n’es-tu pas dans ton échoppe aujourd’hui ? Pourquoi conduis-tu ces gens à travers les rues ?

Deuxième citoyen. — Ma foi, Seigneur, afin de leur faire user leurs souliers, et de me procurer plus d’ouvrage. Mais la vérité, Seigneur, c’est que nous nous donnons congé pour voir César, et nous réjouir de son triomphe.

Marullus. — Pourquoi vous réjouir ? Quelle conquête rapporte-t-il dans sa patrie ? Quels tributaires le suivent à Rome, pour parer son triomphe, en marchant, captifs ! Liés de chaînes, derrière les roues de son char1 ? Ô bûches, pierres, êtres pires que les choses insensibles ! Ô cœurs endurcis, cruels habitants de Rome, ne connaissiez-vous

  1. Sole, semelle, se prononce à peu près comme soul, âme, et c’est ce dernier mot que Marullus entend. Il se trouve justement que dans l’argot de nos artisans, une certaine partie du soulier s’appelle l’âme.