Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/11

Cette page n’a pas encore été corrigée

4 COMME IL VOUS PLAIRA.

jeune frère du poète, Gilbert qui mourut dans un âge très-avancé, sous le règne de Charles II, le rôle du vieil Adam aurait été rempli par le grand William lui-même. C’est au moins ce qu’on peut conjecturer des réponses obscures que les comédiens de la Restauration arrachèrent à grand’peine à la mémoire affaiblie de Gilbert, lorsqu’ils l’interrogèrent sur le compte de son illustre frère. «Tout ce qu’on put en obtenir fut le souvenir faible, vague et à demi éteint d’avoir vu William jouer dans une de ses comédies le rôle d’un vieillard décrépit, qui portait une longue barbe et paraissait’si’débile, si accablé, qu’il était incapable de marcher et qu’il fallait qu’il fût soutenu et porté par une autre personne à une table où on l’asseyait parmi certains convives dont un chantait une chanson, 3> 11 est impossible de ne pas reconnaître dans ces indications la scène où Orlando transporte le vieil Adam au banquet du duc exilé. Ce témoignage curieux nous a été conservé par le chroniqueur Oldys.

La source d’où Shakespeare a tiré sa délicieuse comédieest une nouvelle d’un de ses contemporains- nommé Thomas Lodge : Rosalinde, legs précieux d’Euphues, ■ trouvé à SHexedra et rapporté des Canaries par Thomas Lodge, gentilhomme. Pour donner plus de prix à son ’ oeuvre et attirer plus particulièrement l’attention sur elle, Thomas Lodge l’avait placée sous le patronage et pour ainsi dire sous l’invocation du nom de Lilly, grand homme alors, obscur aujourd’hui, dont le roman d’Euphues, code des précieux du temps, obtenait en Angleterre l’incroyable succès que devait obtenir’ quelques années plus tard chez nous, VJstrée d’Honoré d’Urfé. Cette fois on ne peut dire, comme pour quelques autres de ses chefs-d’oeuvre, que Shakespeare a renouvelé le miracle de la création à nihilo, en tirant quelque chose de rien ; car la nouvelle de Lodge, quoique précieuse à l’excès et remplie de ces senti’ ments artificiels mis en vogue par le drame pastoral, est jolie, amusante, et d’une analyse morale souvent très-fine