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174 LES GENTILSHOMMES DE VÉRONE.

SILVIA.—Elle t’est redevable pour ta sympathie, gentil jeune homme. Hélas ! pauvre dame ! désolée et délaissée ! Je pleure moi-même en pensant à ton récit. Tiens, jeune homme, voici ma bourse ; je te la donne en considération de ton amour pour ta douce maîtresse. Adieu !

JULIA. — Et elle vous remerciera si jamais elle vient à vous connaître. (Silvia sort avec les personnes de sa suite.) Une vertueuse dame, douce et belle ! j’espère que les poursuites de mon maître n’auront qu’un médiocre succès, puisqu’elle a tant de respect pour l’amour dé ma maîtresse. Hélas ! comme l’amour peut jouer avec lui-même ! Voici son portrait ; voyons un peu. Il me semble que si j’avais cette coiffure-là, ma figure aurait autant de charmes que la sienne ; et certainement le peintre l’a un peu flattée, à moins que je ne me flatte moi-même beaucoup trop. Sa chevelure est châtaine, la mienne est d’un blond parfait ; si c’est là toute la différence qui le fait changer d’amour, je me procurerai une perruque de cette couleur. Ses yeux sont clairs comme le verre, et aussi les miens. Oui, mais son front est petit, et le mien est élevé. Bah ! Est-il une de ces choses qu’il aime en elle que je ne pusse m’approprier et faire aimer en moi, si cet insensé d’amour n’était pas un dieu aveugle ? Viens, pauvre ombre de Julia, viens et emporte cette ombre, car c’est ta rivale. O forme sans corps, tu seras honorée, baisée, aimée, adorée ! Mais si son idolâtrie avait un grain de raison, c’est la réalité de ma personne qui lui servirait d’idole à ta place. Je te traiterai avec affection par égard pour ta maîtresse qui en a bien agi avecmoi ; autrement, par Jupiter, je jure que je t’aurais arraché ces yeux qui ne voient pas, afin de faire cesser l’amour que mon maître a pour toi. (Elle sort.)