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ACTE IV, SCÈNE IV. 173

lui donna lors de son départ. Quoique son hypocrite main ait profané cet anneau, la mienne ne fera pas un tel outrage à sa Julia.

JULIA. — Elle vous remercie.

SILVIA. — Que dis-tu ?

JULIA. — Je vous remercie, Madame, pour l’intérêt que vous Importez. Pauvre dame ! mon maître lui fait grande injure.

SILVIA. — Est-ce que tu la connais ?

JULIA. — Presque aussi bien que je me connais moi-même ; en pensant à ses malheurs, je vous assure que j’ai pleuré plus de cent fois.

SILVIA. — Sans doute, elle croit que Protée l’a abandonnée.

JULIA, — Je pense qu’elle le croit, et c’est là la cause de sa douleur.

SILVIA. — N’est-elle pas extrêmement belle ?

JULIA".—Elle a été plus belle qu’elle ne l’est, Madame ; lorsqu’elle croyait que mon maître l’aimait bien, elle, était, selon mon jugement, aussi belle que vous ; mais depuis qu’elle a négligé son miroir et rejeté le masque qui la garantissait du soleil, l’air a décoloré les roses de ses joues et outragé le teint de lis de son visage, si bien que maintenant elle est aussi noire que je le suis.

SILVIA. — De quelle taille est-elle ?

JULIA. — À peu près de la mienne ; car, à la Pentecôte, lorsque nous jouâmes nos mascarades de fête, nos jeunes gens voulurent que je me chargeasse du rôle de la femme, et on m’habilla dans la robe de Madame Julia, qui, de l’avis de tout le monde, m’allait aussi bien que si elle avait été faite pour moi ; c’est ainsi que je sais qu’elle est à peu près de ma taille. Ce jourlà, je la fis pleurer pour tout de bon, car je jouais un rôle lamentable, Madame : celui d’Ariane se désespérant sur le parjure et la fuite indigne de Thésée, et j’approchai par mes larmes si près de la vie même, que ma pauvre maîtresse, intérieurement émue, pleurait amèrement, et que je meure, si mon âme ne ressentit pas sa propre douleur !